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Source text - French Le Mythe de Sisiphe
Essai sur l'absurde
À PASCAL PIA
UN RAISONNEMENT ABSURDE
O mon âme, n’aspire à la vie immortelle,
mais épuise le champ du possible.
PINDARE
3e Pythique
Les pages qui suivent traitent d'une sensibilité absurde qu'on peut
trouver éparse dans le siècle - et non d'une philosophie absurde que
notre temps, à proprement parler, n'a pas connue. Il est donc d'une
honnêteté élémentaire de marquer, pour commencer, ce qu'elles doivent à certains esprits contemporains. Mon intention est si peu de le cacher qu'on les verra cités et commentés tout au long de l'ouvrage. Mais il est utile de noter, en même temps, que l'absurde, pris jusqu'ici comme conclusion, est considéré dans cet essai comme un point de départ. En ce sens, on peut dire qu'il y a du provisoire dans mon commentaire : on ne saurait préjuger de la position qu'il engage. On trouvera seulement ici la description, à l'état pur, d'un mal de l'esprit. Aucune métaphysique, aucune croyance n'y sont mêlées pour le, moment. Ce sont les limites et le seul parti pris de ce livre
L'ABSURDE ET LE SUICIDE
Il n'y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux : c'est le
suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d'être vécue,
c'est répondre à la question fondamentale de la philosophie. Le reste,
si le monde a trois dimensions, si l'esprit a neuf ou douze catégories,
vient ensuite. Ce sont des jeux ; il faut d'abord répondre. Et s'il est
vrai, comme le veut Nietzsche, qu'un philosophe, pour être estimable,
doive prêcher d'exemple, on saisit l'importance de cette réponse puisqu'elle va précéder le geste définitif. Ce sont là des évidences sensibles au cœur, mais qu'il faut approfondir pour les rendre claires à
l'esprit.
Si je me demande à quoi juger que telle question est plus pressante
que telle autre, je réponds que c'est aux actions qu'elle engage. Je
n'ai jamais vu personne mourir pour l'argument ontologique. Galilée, qui tenait une vérité scientifique d'importance, l'abjura le plus aisément du monde dès qu'elle mit sa vie en péril. Dans un certain sens, il fit bien. Cette vérité ne valait pas le bûcher. Qui de la terre ou du soleil tourne autour de l'autre, cela est profondément indifférent. Pour tout dire, c'est une question futile. En revanche, je vois que beaucoup de gens meurent parce qu'ils estiment que la vie ne vaut pas la peine d'être vécue. J'en vois d'autres qui se font paradoxalement tuer pour les idées ou les illusions qui leur donnent une raison de vivre (ce, qu'on appelle une raison de vivre est en même temps une excellente raison de mourir). Je juge donc que le sens de la vie est la plus pressante des questions. Comment y répondre ? Sur tous les problèmes essentiels, j'entends par là ceux qui risquent de faire mourir ou ceux qui décuplent la passion de vivre, il n'y a probablement que deux méthodes de pensée, celle de La Palisse et celle de Don Quichotte. C'est l'équilibre de l'évidence et du lyrisme qui peut seul nous permettre d'accéder en même temps à l'émotion et à la clarté. Dans un sujet à la fois si humble et si chargé de pathétique, la dialectique savante et classique doit donc céder la place, on le conçoit, à une attitude d'esprit plus modeste qui procède à la fois du bon sens et de la sympathie.
On n'a jamais traité du suicide que comme d'un phénomène social.
Au contraire, il est question ici, pour commencer, du rapport entre la
pensée individuelle et le suicide. Un geste comme celui-ci se prépare
dans le silence du cœur au même titre qu'une grande œuvre.
L'homme lui-même l'ignore. Un soir, il tire ou il plonge. D'un gérant
d'immeubles qui s'était tué, on me disait un jour qu'il avait perdu sa
fille depuis cinq ans, qu'il avait beaucoup changé depuis et que cette
histoire « l'avait miné ». On ne peut souhaiter de mot plus exact.
Commencer à penser, c'est commencer d'être miné. La société n'a pas
grand-chose à voir dans ces débuts. Le ver se trouve au cœur de
l'homme. C'est là qu'il faut le chercher. Ce jeu mortel qui mène de la
lucidité en face de l'existence à l'évasion hors de la lumière, il faut le
suivre et le comprendre. Il y a beaucoup de causes à un suicide et d'une façon générale les plus apparentes n'ont pas été les plus efficaces. On se suicide rarement (l'hypothèse cependant n'est pas exclue) par réflexion. Ce qui déclenche la crise est presque toujours incontrôlable. Les journaux parlent souvent de « chagrins intimes » ou de « maladie incurable ». Ces explications sont valables. Mais il faudrait savoir si le jour même un ami du désespéré ne lui a pas parlé sur un ton indifférent. Celui-là est le coupable. Car cela peut suffire à précipiter toutes les rancoeurs et toutes les lassitudes encore en suspension 1
1 Ne manquons pas l'occasion de marquer le caractère relatif de cet
essai. Le suicide peut en effet se rattacher à des considérations
beaucoup plus honorables. Exemple : les suicides politiques dits de
protestation, dans la révolution chinoise.
Mais, s'il est difficile de fixer l'instant précis, la démarche subtile
où l'esprit a parié pour la [18] mort, il est plus aisé de tirer du geste
lui-même les conséquences qu'il suppose. Se tuer, dans un sens, et
comme au mélodrame, c'est avouer. C'est avouer qu'on est dépassé par la vie ou qu'on ne la comprend pas. N'allons pas trop loin cependant dans ces analogies et revenons aux mots courants. C'est seulement avouer que cela « ne vaut pas la peine ». Vivre, naturellement, n'est jamais facile. On continue à faire les gestes que l'existence commande, pour beaucoup de raisons dont la première est l'habitude. Mourir volontairement suppose qu'on a reconnu, même instinctivement, le caractère dérisoire de cette habitude, l'absence de toute raison profonde de vivre, le caractère insensé de cette agitation quotidienne et l'inutilité de la souffrance.
Quel est donc cet incalculable sentiment qui prive l'esprit du sommeil nécessaire à sa vie ? Un monde qu'on peut expliquer même avec de mauvaises raisons est un monde familier. Mais au contraire, dans un univers soudain privé d'illusions et de lumières, l'homme se sent un étranger. Cet exil est sans recours puisqu'il est privé des souvenirs d'une patrie perdue ou de l'espoir d'une terre promise. Ce divorce entre l'homme et sa vie, l'acteur et son décor, c'est proprement le sentiment de l'absurdité. Tous les hommes sains ayant songé à leur propre suicide, on pourra reconnaître, sans plus d'explications, qu'il y a un lien direct entre ce sentiment et l'aspiration vers le néant.
Le sujet de cet essai est précisément ce rapport entre l'absurde et le suicide, la mesure exacte dans laquelle le suicide est une
solution à l'absurde. On peut poser en principe que pour un homme qui ne triche pas, ce qu'il croit vrai doit régler son action. La croyance
dans l'absurdité de l'existence doit donc commander sa conduite.
C'est une curiosité légitime de se demander, clairement et sans faux
pathétique, si une conclusion de cet ordre exige que l'on quitte au plus
vite une condition incompréhensible. Je parle ici, bien entendu, des
hommes disposés à se mettre d'accord avec eux-mêmes.
Posé en termes clairs, ce problème peut paraître à la fois simple et
insoluble. Mais on suppose à tort que des questions simples entraînent
des réponses qui ne le sont pas moins et que l'évidence implique l'évidence. A priori, et en inversant les termes du problème, de même
qu'on se tue ou qu'on ne se tue pas, il semble qu'il n'y ait que deux solutions philosophiques , celle du oui et celle du non. Ce serait trop beau. Mais il faut faire la part de ceux qui, sans conclure, interrogent toujours. Ici, j'ironise à peine : il s'agit de la majorité. Je vois également que ceux qui répondent non agissent comme s'ils pensaient oui. De fait, si j'accepte le critérium nietzschéen, ils pensent oui d'une façon ou de l'autre. Au contraire, ceux qui se suicident, il arrive souvent qu'ils étaient assurés du sens de la vie. Ces contradictions sont constantes. On peut même dire qu'elles n'ont jamais été aussi vives que sur ce point où la logique au contraire paraît si désirable. C'est un lieu commun de comparer les théories philosophiques et la conduite de ceux qui les professent. Mais il faut bien dire que parmi les penseurs qui refusèrent un sens à la vie, aucun, sauf Kirilov qui appartient à la littérature, Peregrinos qui naît de la légende 2 et Jules Lequier qui relève de l'hypothèse, n'accorda sa logique jusqu'à refuser cette vie. On cite souvent, pour en rire, Schopenhauer qui faisait l'éloge du suicide devant une table bien garnie. Il n'y a point là matière à plaisanterie. Cette façon de ne pas prendre le tragique au sérieux n'est pas si grave, mais elle finit par juger son homme.
Devant ces contradictions et ces obscurités, faut-il donc croire
qu'il n'y a aucun rapport entre l'opinion qu'on peut avoir sur la vie et le geste qu'on fait pour la quitter ? N'exagérons rien dans ce sens. Dans l'attachement d'un homme à sa vie, il y a quelque chose de plus fort que toutes les misères du monde. Le jugement du corps vaut bien celui de l'esprit et le corps recule devant l'anéantissement.
2 J'ai entendu parler d'un émule de Peregrinos, écrivain de
l'après-guerre, qui après avoir terminé son premier livre se suicida
pour attirer l'attention sur son œuvre. L'attention en effet fut attirée mais le livre jugé mauvais.
Nous prenons l'habitude de vivre avant d'acquérir celle de penser. Dans cette course qui nous précipite tous les jours un peu plus vers la mort, le corps garde cette avance irréparable. Enfin, l'essentiel de cette contradiction réside dans ce que j'appellerai l'esquive parce qu'elle est à la fois moins et plus que le divertissement au sens pascalien. L'esquive mortelle qui fait le troisième thème de cet essai, c'est l'espoir. Espoir d'une autre vie qu'il faut « mériter », ou tricherie de ceux qui vivent non pour la vie elle-même, mais pour quelque grande idée qui la dépasse, la sublime, lui donne un sens et la trahit.
Tout contribue ainsi à brouiller les cartes. Ce n'est pas en vain
qu'on a jusqu'ici joué sur les mots et feint de croire que refuser un
sens à la vie conduit forcément à déclarer qu'elle ne vaut pas la peine
d'être vécue, En vérité, il n'y a aucune mesure forcée entre ces deux
jugements. Il faut seulement refuser de se laisser égarer par les
confusions, les divorces et les inconséquences jusqu'ici signalés. Il
faut tout écarter et aller droit au vrai problème. On se tue parce que
la vie ne vaut pas la peine d'être vécue, voilà une vérité sans doute -
inféconde cependant parce qu'elle est truisme. Mais est-ce que cette
insulte à l'existence, ce démenti où on la plonge vient de ce qu'elle n'a
point de sens ? Est-ce que son absurdité exige qu'on lui échappe, par
l'espoir ou le suicide, voilà ce qu'il faut mettre à jour, poursuivre et
illustrer en écartant tout le reste.
L'absurde commande-t-il la mort?, il faut donner à ce problème le pas sur les autres, en dehors de toutes les méthodes de pensée et des jeux de l'esprit désintéressé. Les nuances, les contradictions, la psychologie qu'un esprit « objectif » sait toujours introduire dans tous les problèmes, n'ont pas leur place dans cette recherche et cette passion. Il y faut seulement une pensée injuste, c'est-à-dire logique. Cela n'est pas facile. Il est toujours aisé d'être logique. Il est presque impossible d'être logique jusqu'au bout. Les hommes qui meurent de leurs propres mains suivent ainsi jusqu'à sa fin la pente de leur sentiment. La réflexion sur le suicide me donne alors l'occasion de poser le seul problème qui m'intéresse : y a-t-il une logique jusqu'à la mort ? Je ne puis le savoir qu'en poursuivant sans passion désordonnée, dans la seule lumière de l'évidence, le raisonnement dont j'indique ici l'origine. C'est ce que j'appelle un raisonnement absurde. Beaucoup l'ont commencé. Je ne sais pas encore s'ils
s'y sont tenus.
Lorsque Karl Jaspers, révélant l'impossibilité de constituer le monde en unité, s'écrie : « Cette limitation me conduit à moi-même, là où
je ne me retire plus derrière un point de vue objectif que je ne fais
que représenter, là où ni moi-même ni l'existence d'autrui ne peut plus
devenir objet pour moi », il évoque après bien d'autres ces lieux déserts et sans eau où la pensée arrive à ses confins. Après bien d'autres, oui sans doute, mais combien pressés d'en sortir ! A ce dernier tournant où la pensée vacille, beaucoup d'hommes sont arrivés et parmi les plus humbles. Ceux-là abdiquaient alors ce qu'ils avaient de plus cher qui était leur vie. D'autres, princes parmi l'esprit, ont abdiqué aussi, mais c'est au suicide de leur pensée, dans sa révolte la plus pure, qu'ils ont procédé. Le véritable effort est de s'y tenir au contraire, autant que cela est possible et d'examiner de près la végétation baroque de ces contrées éloignées. La ténacité et la clairvoyance sont des spectateurs privilégiés pour ce jeu inhumain où l'absurde, l'espoir et la mort échangent leurs répliques. Cette danse à la fois élémentaire et subtile, l'esprit peut alors en analyser les figures avant de les illustrer et de les revivre lui-même.
Translation - Spanish El mito de Sísifo
Ensayo sobre el absurdo.
A Pascal Pia
Un razonamiento absurdo
Oh, alma mía, no aspires a la vida inmortal, mas agota el campo de lo posible.
Píndaro, 3ª Pítica.
Las páginas que siguen tratan de una sensibilidad absurda que se puede encontrar esparcida en el siglo (y no de una filosofía absurda que nuestro tiempo, propiamente dicho, no ha conocido). Es, pues, de una honestidad elemental, hacer notar, para empezar, lo que éstas deben a algunos espíritus contemporáneos. Mi intención de ocultarlo es tan poca que se verán citados y comentados a lo largo de la obra.
Pero es útil notar, al mismo tiempo, que el absurdo, tomado hasta ahora como conclusión, se considera en este ensayo como punto de partida. En este sentido, se puede decir que algo hay de provisional en mi comentario: no se sabría prever la postura que conlleva. Aquí sólo se encontrará la descripción, en estado puro, de un mal del espíritu. Ninguna metafísica, ninguna creencia están allí mezcladas, por el momento. Tales son los límites y la única postura de este libro.
EL ABSURDO Y EL SUICIDIO
No hay más que un problema filosófico verdaderamente serio: es el suicidio. Juzgar que la vida vale o no vale la pena es responder a la cuestión fundamental de la filosofía. Lo demás, si el mundo tiene tres dimensiones, si el espíritu tiene nueve o doce categorías, viene enseguida. Son juegos; primero hay que responder. Y si es verdad, como pretende Nietzsche, que un filósofo, para ser estimable, deba predicar con el ejemplo, se capta la importancia de esta respuesta, ya que va a preceder el gesto definitivo. Son éstas evidencias sensibles al corazón, pero en las que hay que profundizar para hacerlas claras al espíritu.
Si me pregunto por qué juzgar que tal cuestión es más apremiante que tal otra, respondo que es por las acciones que conlleva. Nunca he visto a nadie morir por el argumento ontológico. Galileo, que sostenía una verdad científica de importancia, abjuró de ella con la mayor facilidad del mundo en cuanto puso su vida en peligro. De cierta forma, hizo bien. Esta verdad no valía la hoguera. Si la tierra gira en torno al sol o viceversa es profundamente indiferente. A decir verdad, es una cuestión fútil. Por el contrario, veo que muchas personas mueren porque estiman que la vida no vale la pena. Veo a otras que, paradójicamente, hacen que las maten por las ideas o las ilusiones que les dan una razón para vivir (lo que se llama una razón para vivir es al mismo tiempo una excelente razón para morir). Considero, pues, que el sentido de la vida es la más apremiante de las cuestiones. ¿Cómo darle respuesta? Acerca de todos los problemas esenciales, escucho por ahí a los que se arriesgan a que los maten o a los que decuplican la pasión de vivir; probablemente, no hay más que dos métodos de pensamiento, el de La Palisse y el de Don Quijote. Es el equilibrio entre la evidencia y el lirismo lo único que puede permitirnos acceder, a un mismo tiempo, a la emoción y a la claridad. En un tema a la vez tan humilde y tan cargado de patética, queda de manifiesto que la dialéctica erudita y clásica debe, pues, ceder el lugar a una actitud de espíritu más modesta, que proceda a la vez del sentido común y de la simpatía.
Nunca se ha hablado del suicidio más que como de un fenómeno social. Al contrario: para empezar, aquí es cuestión de la relación entre el pensamiento individual y el suicidio. Un gesto como éste se prepara en el silencio del corazón tal como una gran obra. El hombre mismo lo ignora. Una noche, dispara o se zambulle. De un agente de bienes raíces que se había matado, un día me decían que había perdido a su hija desde hacía cinco años, que había cambiado mucho desde entonces y que esta historia “lo había minado”. Palabra más exacta no podía haber. Comenzar a pensar es comenzar a estar minado. La sociedad no tiene mucho que ver en estos comienzos. El gusano está en el corazón del hombre. Es ahí donde hay que buscarlo. Ese juego mortal, que lleva de la lucidez frente a la existencia a la evasión fuera de la luz, hay que seguirlo y comprenderlo. Hay muchas causas para un suicidio y, por lo general, las más aparentes no han sido las más eficaces. Raramente (sin excluir, no obstante, la hipótesis) hay suicidios reflexionados. Lo que desencadena la crisis es casi siempre incontrolable. Los periódicos hablan a menudo de “aflicciones íntimas” o de “enfermedad incurable”. Esas explicaciones son válidas. Pero habría que saber si ese mismo día un amigo del desesperado no le habló con un tono indiferente. Ése es el culpable. Puesto que eso puede bastar para precipitar todos los rencores y todos los hastíos aún en suspenso. 1
1. No perdemos la ocasión de redundar en el carácter de este ensayo. El suicidio puede, en efecto, apegarse a consideraciones mucho más honorables. Ejemplo: los llamados suicidios políticos o de protesta, en la revolución china.
Pero, si es difícil fijar el instante exacto, el enfoque sutil en donde el espíritu apostó por la muerte, es más cómodo obtener del gesto mismo las consecuencias que supone. Matarse, en un sentido, y como en el melodrama, es confesar. Es confesar que se está rebasado por la vida o que ya no se la entiende. No vayamos muy lejos, sin embargo, en estas analogías, y volvamos al lenguaje corriente. Es solamente confesar que “no vale la pena”. Vivir, naturalmente, nunca ha sido fácil. Se sigue haciendo los gestos que la existencia requiere, por muchas razones, de las cuales la primera es la costumbre. Morir voluntariamente supone que se ha reconocido, aun instintivamente, el carácter irrisorio de esta costumbre, la ausencia de toda razón profunda de vivir, el carácter insensato de esta agitación cotidiana y la inutilidad del sufrimiento.
¿Cuál es, pues, ese incalculable sentimiento que priva al espíritu del sueño necesario para la vida? Un mundo que se puede explicar, aun con malos argumentos, es un mundo familiar. Pero, por el contrario, en un universo a menudo privado de ilusiones y de luces, el hombre se siente un extranjero. Este exilio es irremediable ya que está privado de los recuerdos de una patria perdida o de la esperanza de una tierra prometida. Este divorcio entre el hombre y su vida, el actor y su decorado, es propiamente el sentimiento de la absurdidad. Considerando que todo hombre sano ha soñado con su propio suicidio, se podrá reconocer, sin más explicaciones, que hay un vínculo directo entre ese sentimiento y la aspiración hacia la nada.
El tema de este ensayo es precisamente esa relación entre el absurdo y el suicidio, la medida exacta en la cual el suicidio es una solución al absurdo. En principio, se puede plantear que para un hombre que no hace trampa, lo que él cree verdadero debe regular su acción. La creencia en la absurdidad de la existencia debe, pues, dirigir su conducta. Es de una curiosidad legítima preguntarse, claramente y sin falso patetismo, si una conclusión de este orden exige que se abandone lo más pronto una condición incomprensible. Aquí me refiero, desde luego, a los hombres dispuestos a ponerse de acuerdo con ellos mismos.
Dicho más claramente, este problema puede parecer al mismo tiempo simple e insoluble. Pero se cree por error que cuestiones simples suponen respuestas que no lo son menos, y que la evidencia implica la evidencia. A priori, e invirtiendo los términos del problema, así como cualquiera puede matarse o no, parece que no hubiera sino dos soluciones filosóficas, la del sí y la del no. Sería hermoso. Pero hay que hacer la parte de los que, sin concluir, interrogan siempre. Aquí casi no ironizo: se trata de la mayoría. De la misma manera, veo que los que responden que no actúan como si pensaran que sí. De hecho, si acepto el criterio nietzscheano, piensan que sí, de una manera u otra. Por el contrario, a menudo ocurre que quienes se suicidan estaban seguros del sentido de la vida. Estas contradicciones son constantes. Se puede decir, incluso, que nunca han estado tan vivos como en ese punto en el que la lógica, por el contrario, parece tan deseable. Es un lugar común comparar las teorías filosóficas y la conducta de quienes las profesan. Pero hay que decir que, de los pensadores que negaron un sentido a la vida, ninguno, salvo Kirilov que pertenece a la literatura, Peregrinos que nace de la leyenda 2 y Jules Lequier que depende de la hipótesis, llegó con su lógica a rechazarla. Se cita a menudo, para reírse, a Schopenhauer que hacía elogio del suicidio ante una mesa bien servida. No hay de qué burlarse. Esta forma de no tomar lo trágico en serio no es tan grave, pero acaba por juzgar a quien se vale de ella.
Ante estas contradicciones y estas obscuridades, ¿hay que creer, pues, que no hay ninguna relación entre la opinión que se tiene de la vida y el gesto que se hace para dejarla? No exageramos nada en este sentido. Dentro del apego de un hombre a su vida hay algo más fuerte que todas las miserias del mundo. El juicio del cuerpo bien vale el del espíritu, y el cuerpo recula ante la devastación.
2. Escuché hablar de un émulo de Peregrinos, escritor de la posguerra, quien después de haber terminado su primer libro se suicidó para llamar la atención sobre su obra. En efecto, se logró llamar la atención pero el libro se consideró malo.
Tomamos el hábito de vivir antes de adquirir el de pensar. En esta carrera que todos los días nos precipita un poco más hacia la muerte, el cuerpo guarda esta ventaja irreparable. Finalmente, lo esencial de esta contradicción reside en lo que llamaría la elusión porque es a la vez menos y más que la diversión en sentido pascaliano. La elusión mortal, que es el tercer tema de este ensayo, es la esperanza. La esperanza en otra vida que hay que “merecer” o treta de los que viven no para la vida misma, sino para alguna gran idea que la rebasa, la sublima, le da un sentido y la traiciona.
De manera que todo contribuye a barajar las cartas. No en vano se ha jugado hasta aquí con las palabras, y se ha fingido creer que negar un sentido a la vida lleva forzosamente a declarar que no vale la pena vivirla. En realidad, no hay ningún vínculo forzoso entre estos dos juicios. Sólo hay que evitar dejarse perder por las confusiones, los divorcios y las inconsecuencias dichas hasta aquí. Hay que deshebrar todo e ir directamente al problema real. Uno se mata porque la vida no vale la pena: he aquí una verdad indudable, no obstante infecunda puesto que es una obviedad. ¿Pero acaso este insulto a la existencia, este desmentido en que se la sumerge proviene de que no tiene sentido? ¿Acaso su absurdidad exige que deba evadirse por la esperanza o el suicidio?, esto es lo que hay que dilucidar, perseguir e ilustrar, apartando todo lo demás.
¿El absurdo requiere la muerte? Hay que dar a este problema prioridad sobre los otros, fuera de todo método de pensamiento y de los juegos del espíritu desinteresado. Los matices, las contradicciones, la psicología, que un espíritu “objetivo” siempre sabe introducir en todos los problemas, no tienen lugar en esta búsqueda y en esta pasión. Sólo falta un pensamiento injusto, es decir lógico. Eso no es fácil. Siempre es cómodo ser lógico. Es casi imposible ser lógico hasta el final. Los hombres que mueren por propia mano siguen de esta manera, hasta el fin, la pendiente de su sentimiento. La reflexión sobre el suicidio me da entonces la ocasión de plantear el único problema que me interesa: ¿hay una lógica hasta la muerte? No puedo saberlo más que persiguiendo sin pasión desordenada, en la pura luz de la evidencia, el razonamiento cuyo origen aquí indico. Esto es lo que llamo un razonamiento absurdo. Muchos lo han comenzado. Aún no sé si lo han continuado.
Cuando Karl Jaspers, al revelar la imposibilidad de constituir el mundo en unidad, exclama: “Esta limitación me conduce a mí mismo, allí donde ya no me retiro detrás de un punto de vista objetivo que sólo represento, allí donde ni yo mismo ni la existencia del otro puede ya convertirse en objeto para mí”, evoca, después de muchos otros, esos lugares desiertos y sin agua donde el pensamiento llega a sus confines. Después de muchos otros, sí, sin duda, ¡pero qué apresurados por salir! A este último giro donde el pensamiento vacila han llegado muchos hombres, y de los más humildes. Éstos abdicaban entonces de lo más preciado que tenían que era su vida. Otros, príncipes del espíritu, también han abdicado, pero es al suicidio de su pensamiento, en su revuelta más pura, a lo que han procedido. El verdadero esfuerzo es mantenerse en contra mientras es posible y examinar de cerca la vegetación barroca de esas comarcas lejanas. La tenacidad y la sagacidad son espectadoras privilegiadas por este juego inhumano donde el absurdo, la esperanza y la muerte intercambian sus réplicas. El espíritu puede entonces analizar las figuras de esta danza, a la vez elemental y sutil, antes de ilustrarlas y de revivirlas él mismo.
French to Spanish (Universidad Nacional Autónoma de México)
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Bio
I am a professional in the field of literary translation since 2012, and a graduate of the second generation of the two-year Diploma in Training Translators of French-Spanish Literary Texts at the National Autonomous University of Mexico (UNAM). I have collaborated in editing and synchronization projects of subtitles and indications for the deaf in television series. I have also translated literary works such as Albert Camus' The Myth of Sisyphus, among others.
Keywords: french, Word, localization, software, subtitling, computers, literary texts